La chaleur écrase la ville depuis le lever du jour. Chaleur de plomb, étouffante comme la violence de l’attentat de Nice ce 14 juillet 2016. L’homme au regard bleu est là, assis sur le banc, à l’arrêt du tram. A t-il appris la nouvelle ? A-t-il entendu parler les passants ? Il ne bouge pas, il ne frémit pas, perdu dans un ailleurs inconnu de tous, inconnu de lui peut-être. Depuis le matin, je le regarde, je l’observe, je l’épie même, depuis ma fenêtre, pour oublier la nouvelle. Je l’ai apprise hier à minuit, la nouvelle. Au retour de la fête pour l’anniversaire de Samira j’ai allumé la télévision, machinalement. A cet instant j’ai souhaité être sourde et aveugle. J’ai éteint la télévision aussitôt après. J’étais transie d’horreur. Cette folie engendrée par l’oppression, l’humiliation, cette folie attisée par les discours de haine, cette folie meurtrière ravive mon sentiment d’impuissance. J’enrage de constater l’inutilité de nos luttes antiracistes, l’échec de notre engagement militant, l’écrasement de notre idéal politique, des décennies plus tard. L’homme au regard bleu est là, assis sur le banc. Il semble ne pas voir les trams défiler, ni les voyageurs s’agglutiner aux portes ouvertes de la rame. Il semble ne pas entendre le vacarme qui l’entoure. La tombée du soir n’apporte aucune fraîcheur. Deux heures du matin, l’homme au regard bleu s’allonge sur le banc. Enfin, il s’endort.
Lili