Un début d’histoire à prendre ou à laisser.

Une invitation à jouer avec le thème proposé .

Et puis il y a des mots en vrac…

Enfin la cerise sur le gâteau, l’emploi du dialogue intérieur.

 

Les portes

Claque la porte… mais laquelle ? J’ai tiré les rideaux, face à la baie vitrée je regarde… Le ciel crépusculaire grisonne et assombrit les façades qui se dressent non loin. Il n’y a pas un souffle ; les acacias s’étalent, immobiles, et plus bas, les haies de troënes n’ont pas un frémissement. Tout est calme, figé… Ce mutisme m’agace, il est contraire à mon sentiment du moment. Je veux que les branches se tordent et que gémissent les troënes, que le sable fouetté du jeu de boules se soulève en mini-tornades. Oui, je veux claquer une porte. Tu m’écoutes mais je vois bien qu tu ne me comprends pas. J’enrage… La perplexité qui flotte dans tes yeux dément l’air sérieux que tu adoptes. Et tu ris en refermant la porte d’une chambre. La nuit est entrée dans la pièce où je joue le quitte ou double de ma vie. Je regarde la fin du ballet des chauves-souris qui, ponctuelles, raturent le soir. Arrête de clore cette pièce ; j’étouffe… Non tu ne comprends pas. Tu me dis que je suis compliquée, que mes actes sont contradictoires, voire incohérents. Vois-tu, je sais que c’est absurde, je souhaite t’expliquer mais en même temps je crains de te blesser par des mots qui reflètent mon désarroi. Aujourd’hui, je suis un peu lasse ; je n’arrive pas à repousser les battants de toutes ces portes qui, insensiblement, ont réduit mon espace. Un jour, crois-moi, avant que je ne sois engloutie par toutes ces ombres qui pénètrent ici, je claquerai la porte pour la vie, je serai libre, libre comme l’air.
Comme ce sera bon…
Josette

 

Ermite

Mais c’est quoi le bout du monde ? C’est où ?
Peut-être cet endroit que j’aimerais trouver, où j’aimerais rester. Un rêve, une aspiration, un compte à rebours, pour solde de tous mes comptes.
Il se dessine dans le brouillard, en haut de la vallée, tout là-haut. Dans le brouillard d’avant la nuit. En pierres sèches, on le dirait là depuis toujours… enfin presque. Parce qu’au début il n’y était pas, bien sûr. Et maintenant il est là et pas pour rien, pas par hasard. Quelqu’un en avait besoin. Quelqu’un qui venait d’ailleurs ou qui était de là mais qui voulait être ailleurs. Enfin, il l’a construit là, avec ses mains, avec patience, en pierres sèches. Pierres et bois. Il a pris son temps. Sans déranger, sans abîmer. On dirait qu’il a toujours été là. C’était sa place. Sa main est partout. Dans les chevilles de la charpente, dans l’assemblage des pierres sèches, au fond de l’abreuvoir en pierre taillé, sous le rocher. Il est fondu dans le brouillard. Je l’ai trouvé. La cheminée ne fume plus. Depuis longtemps. Abandonné par fin du compte ou par besoin d’aller plus loin. Et plus personne.

Pas un lieu pour disparaitre. Un lieu pour vivre. C’est pour ça qu’il fallait la source et le toit dans la pente et des murs en pierres sèches pour se protéger mais pas des bêtes, pas des gens, pas de la mort, juste pour se sentir protégé, la porte ouverte, jamais fermée. Et le jardin, clos de pierres, pas trop haut, pour le sentir protégé.
Combien ont vécu là ? Se sont succédés ? Seuls au bout du monde ? Une famille ? Des enfants peut-être, à faire grandir. Des enfants à faire pour vivre, à faire pour rire. Des enfants à protéger mais pas de tout. Pour les laisser partir, pour qu’ils puissent partir, quitter les pierres sèches et le toit de lauzes et la source. Partir.

Et moi je veux être dans ce bout du monde. Je vais y vivre seul. Quand plus personne n’aura besoin de moi, quand je serai prêt à vivre de la source et des pierres sèches sans avoir besoin de personne.
Pas pour me cacher, pas pour disparaitre, pas pour mourir, juste pour être au bout du monde et y rester et me trouver et me prouver que je peux continuer sans avoir besoin de m’appuyer. Et me nourrir de rien et du jardin et de rencontres et de passages. Des pas sur le sentier qui surprennent les pierres sèches. Pour une halte, une tombée de brouillard, un moment partagé, une fin de journée ou un début d’étoiles, sans brouillard, un feu allumé, une soupe à préparer, lentement épluchée, une marmite au feu. La soupe partagée, fumante, le cul sur le rocher. Une pomme coupée, partagée. Une nuit aux étoiles et la nuit qui finit.

Mais c’est quoi le bout du monde ?
Le bout, je le vois bien, de mieux en mieux, sans inquiétude.
Mais le monde, je ne sais pas trop. Mon monde. Le bout du monde. Et s’il était là, juste à côté de moi. Et pas si loin de toi. Un bout du monde à inventer. Chacun de son côté. Et pourquoi pas, à partager.
Yves

Ouvre la fenêtre, j’ai tellement chaud.

Mon corps brûle, ma tête va exploser, mon cœur bat à grands coups : calme-toi ma belle.
Ouvre la fenêtre, tu n’entends pas ce que je dis ? Est-ce que je parle seulement dans ma tête ? Ou bien, comme toujours, tu n’entends rien, tu ne comprends rien ?
J’ai besoin d’eau, il fait tellement chaud. Il faut qu’il m’aide à sortir de moi, à voir à nouveau l’infini des étoiles et la lune au-dessus des toits. J’aimais tellement cette heure de la nuit. Mais où es-tu ? Il faut qu’on parle. De lui, de nous. Savoir où on va, quoi !
Bof ! Si on ne le sait pas, c’est aussi bien, non ? Droit dans le mur ou droit dans la chambre, c’est tout droit quand même. Qui me parle ? J’entends des voix : « Réveillez-vous Madame, l’opération s’est bien passée. »
S’il-vous plaît, ouvrez la fenêtre, il fait tellement chaud. Merci.
Fabienne