Textes

Des "premiers jets", des occasions de se frotter à sa propre écriture et à celle de l'autre, quelques textes écrits en ateliers...

A table!


C'était fin janvier, le week-end gourmand- gourmet en Camargue, joyeux souvenirs et quelques calories plus loin:

 

En  abécédaires:

Auberge espagnole Biscornue et spéciale pour Carnivore Dégénéré Esprit es-tu là ? Fatigué ou bien ? Gargantua au goût affûté Herbivore mais pas que Inodore et incolore Juste ce qu’il faut Kaleidoscopique acrobatique et Lyrique Miss France Naguère Obèse Part Quelques jours se Restaurer Sans oublier d’emporter une Tarte citron meringue Une sorte de ragoût Vegan et un peu Wampire sur les bords avec un verre de Xerès bien en main Yoyo fait l’écho Zorro la rejoint
Djamila Boutin

Amandes Baignées dans du Calamondin, surtout pas de Dentier qui tombe dans l’assiette et servant  d’Ecumoire pour les Frites. Avant le Gâteau, le Homard à l’armoricaine plein d’Ingrédients Juteux (Kiwis … ), pas besoin de Livre de cuisine pour les Moules ni les Nouilles, sur ces dernières un peu d’huile d’Olive, quelques Pruneaux pour faire passer tout ça. Après la Quiche, un Rizotto Sauce aigre douce. Allez, une Tarte au thon : dans cet Univers culinaire trouver les Vins associés mais attention à la cuisine de Virus type « Wuhan ». Il vaut mieux du vin de Xérès sans Yaourt ni Zus de citron.
Gilbert Benony

Des Je me souviens... en méli mélo...

Je me souviens de l’arrivée triomphale du grand plat jaune d’où dépassaient la tête et la queue d’un loup de 5 kilos pêché par mon père, servi traditionnellement le soir de Noël.

Je me souviens d’entendre de la salle à manger, le fou rire de ma mère, à quatre pattes dans la cuisine en train d’essayer de ramasser la tarte Tatin explosée au sol lors de son retournement.

Je me souviens du mon fou rire devant mon mon gâteau au chocolat en forme d’éboulis suite à sa glissade tout au fond du four alors qu’il n’était qu’à moitié cuit.

(...)

Je me souviens d’une daube cuite dans une lessiveuse pour les 50 ans d’Antoinette à Auriol

Je me souviens du tube Nestlé quand il fallait le rouler pour en extraire les dernières gouttes

Je me souviens des zlabias qui avaient la couleur orange des cheveux de ma cousine Babette

Je me souviens que papy découpait ma tranche de jambon en morceaux égaux sans en modifier la forme, prouesse de géométrie

(...)

Le parti-pris d'une gousse d'ail...

La gousse d’ail se couvre d’une robe argentée, effilochée un peu, retroussée, insolente. Sous la robe, les flancs inclinés, une peau douce et rose, montent se rejoindre en une queue frisée. Ils enferment la chair. Sans la voir, on devine pourtant sa blancheur odorante. Un germe y pousse comme un foetus caché. Le débusquer serait couper la gousse, l’éventrer, la violenter. Elle livrerait son anatomie, deux lobes denses à l’odeur entêtante prête au sacrifice sur l’autel de notre gourmandise.
Sabine Boilot

Les suppliciés de Mimi
Avec la cruelle minutie de vos patientes mains
Les blancs artichauts vous effeuillerez
Dans l’acidité d’un bain citronné les blanchirez
Puis dans la vapeur bouillante vous les attendrirez
Olives, fines herbes et écorces d’orange vous molesterez
Et dans un piquant onguent d’ail et d’huile d’olive les oindrez
De jeunes champignons juste éclos vous décapiterez et lacèrerez
De vos doigts crochus, le tout malaxerez
En boules de la taille d’une noix que vous aplatirez
Dans les culs d’artichauts vous les dresserez
Et d’une perruque de gorgonzola vous les affublerez.
Puis à four brûlant vous les crématiserez
Et encore croustillants sifflants éructants vous les dresserez
sur le grand plat d’argent que vous aurez fait briller
au centre de l’autel sacrificiel de la table à manger.
Elisabeth Duret

 

 

 

 

Jouer les filles de l’air…


Le souffle appliqué

Sur les ailes du silence

Le crayon résonne

 

 

L’air est parcouru

D’invisibles particules

Flotte l’égrégore.

 

 

Elisabeth Duret

Mes cheveux s’envolent

Caressés d’un souffle court

Echappé de toi.

 

 

 

 

 

C’est la vie qui naît,

C’est la vie qui meurt aussi

Que ce souffle là

Sabine Boillot

Les quatre éléments


 

« Je cours sur la plage de chenoua (....) je cours avec la mer qui monte et descend sous les ruines romaines, je cours dans la lumière d’hiver encore chaude, je tombe sur le sable, j’entends la mer qui arrive ..... »( Nina Bouraoui, Garçon manqué )

« J’ai tendu des cordes de clocher à clocher
Des guirlandes de fenêtre à fenêtre
Des chaînes d’or d’étoile à étoile
Et je danse »

Mes pas m’ont amenée sur le rivage, sur l’immensité déserte de cette plage, au crépuscule. J’ai laissé derrière moi un ruban parsemé de lumières éclairant les rues et les maisons, et j’ai noyé mon regard dans les lueurs rosissantes du ciel sans nuages. Mes pieds ont effleuré le sable vierge lissé par le ressac, ils ont ressenti la fraîcheur de l’eau et la douceur des minuscules bulles d’écume.

Je me suis prise pour Vénus émergeant de l’océan, et un élan irrépressible s’est emparé de tout mon être, de la pointe de mes orteils à la racine de mes cheveux.

Et maintenant, je ne suis que mouvement, courbures et contorsions, je m’enivre du vent du large qui fait flotter ma chemise, s’envoler ma chevelure, apporter sur mes lèvres la saveur salée des embruns, et à mes narines la senteur iodée de la mer.

Mes traces sur le sable s’effacent à chaque vague qui s’étale langoureusement, j’avance, je recule, je me penche et n’en finis plus de tournoyer, lancer mes bras vers le ciel ou vers l’élément liquide qui m’appelle et m’attire à lui.

Mais je veux encore profiter de la liberté que j’ai dans l’air tiède de cette fin de journée, jusqu’au vertige, le vertige de l’oubli au contact de l’eau qui vivifie et apaise tout à la fois, le vertige né de la danse, muée en transe, une transe d’où l’on ne revient qu’après avoir épousé l’horizon.
Claudine

 

 

 

 

                     "Le feu est douceur et torture. Il est cuisine et apocalypse… Le feu est beau en soi, n’importe comment. "                    Klein
Carton brûlé sur panneau
250 x 130 cm

 

Immolation

Farce stupide

dernières bulles puantes


La pluie en bruine la nuit ocre

L’ombre en fuite apparaît d’abord,

se redresse aussitôt,

fonce au pas gymnastique,

disparaît définitivement dans la nuit

 

Papa s’était sans doute levé

Maman n’était pas là

Pas de réponse

Papa était parti

 

Affolés les gens se mettaient à courir pieds nus

inutiles mais soucieux devant le feu

Les gens ralentissaient,

s’approchaient,

avouaient c’est beau

c’est tragique

on n’a jamais vu ça

 

Deux voisins venaient de disparaître,

consumés

La nuit redevint parfaite

à peine trouée par la vieille lampe tempête

Les vaches hochaient la tête,

mais ne pipaient mot.

Elisabeth

 

Eté 2022… traces


 

 

Tout d’abord, apparemment, et même assurément, il a fait chaud, très chaud. Un été caniculaire comme jamais depuis 1947 disaient certains média. Une canicule à laquelle il allait falloir s’habituer puisque 2022 demeurera « l’été le plus frais du reste de notre vie ». Est-ce une formule choc des journalistes pour faire sensation ?

La réalité c’est que les incendies ont embrasé les forêts, que partout la faune a péri pendant que nous augmentions le niveau de la clim dans nos véhicules. Balade en forêt. Tout est sec, trop sec. Orages diluviens annoncés, on ne reçoit que quelques pauvres gouttes d’eau. Les arbres deviennent avides, leurs feuilles réclament de l’humidité, pompent goulûment les trop rares ondées. Partons vers des altitudes plus élevées où, au moins, nous parviendrons à dormir. Désertons l’intérieur du pays provençal pour la montagne noire. Retraite hors du monde et de son agitation. Mais ici aussi, à 1000 mètres d’altitude, on peut constater les dégâts de la sécheresse. Certains arbustes aux racines trop frêles ont littéralement séché sur pied et présentent déjà les couleurs de l’automne. Les animaux s’approchent des cours d’eau. Comme eux, nous traquons les lacs et leur relative fraîcheur : 26 degrés pour un lac de moyenne montagne. Catastrophe halieutique.

La quête de l’eau a commencé. Guerre du climat sur fond de guerre en Ukraine et de tant d’autres drames qui ont donné un goût amer à cet été 2022.
.Isabelle

 

 

 

Tout d’abord, apparemment, on allait en baver, en suer, en pleurer de chaud. Le sujet était incontournable et à la fois lassant. Envie de parler d’autre chose sans se laisser rattraper par la prégnance de la température ambiante. Envie d’échanger tout simplement le vrai du fond de nous, loin des poncifs ambiants rabâchés sur France inter dès le 5/7 pourtant épargné par la canicule. Bien étrange cette réaction qui projetait certains ailleurs, loin derrière, « Je me rappelle quand » …ou « tu te souviens ? » En fait c’est de fuite qu’il s’agissait une fuite merveilleusement emballée dans le tissu chatoyant de nos souvenirs. Jamais tant entendu les histoires de chacun sur la douceur de l’air, autrefois, quand il était petit, quand il installait dans la fraîcheur du soir son pliant, sur la terrasse aux dalles tièdes. Jamais tant entendu le rappel des maisons autrefois en Provence, quand on croisait les volets et qu’aucun bruit de climatiseur ne gâchait la sieste.

La nostalgie nous a sauvés, tous ailleurs dans nos mondes respectifs, l’œil posé en coin sur le mercure du thermomètre.
Sabine

 

 

Tout d’abord, apparemment, tout avait commencé comme d’habitude. Les journées s’étaient étirées, le soleil s’était imposé et avec lui, les cigales coutumières des étés méditerranéens. Et puis, le « trop » s’était installé : trop de chaleur devenue canicule, trop de moustiques-tigres aux piqûres aussi violentes que l’insecte est invisible, trop de sécheresse jaunissant champs et pelouses interdites d’arrosage, trop d’informations alarmantes après avoir été alarmistes, trop de feux de forêts gigantesques ici ou là, partout dans l’Hexagone et au-delà de nos frontières, sans compter les feux de la guerre, lointaine et proche à la fois, avec ces nouveaux migrants venant s’ajouter à tous ceux, désespérés en quête d’espoir, du continent africain. Cela devait durer tout l’été, heureusement ponctué de pauses bienvenues au-delà de la commune et même du département, propres à me faire oublier pendant quelque temps les inconforts du quotidien. Elles eurent aussi pour effet d’augmenter l’amer regret d’avoir décliné les invitations à me rendre en montagne, là où les nuits sont plus fraîches que les jours et où l’herbe est plus verte qu’en plaine. L’été prochain, me promis-je, l’été prochain, je ne referai pas la même erreur, quand les canicules séviront de nouveau, que les feux reprendront, puisque les humains sont décidément, définitivement déraisonnables… Indécrottables, aurait renchéri notre professeur de mathématiques en classe de 1ère ! Appliqué à notre nullité supposée en sa matière, l’adjectif nous faisait bien rire ; dans le contexte actuel, il ne me fait plus rire du tout, mais alors, plus du tout !
Claudine

 

 

   Apparemment l’été sera chaud. Déjà en Mai l’évidence est là ! Changement climatique, températures caniculaires, restrictions d’eau, sècheresse, incendies, autant de termes qui font le quotidien à la une des informations. La liste est longue pour s’enfoncer dans une morosité sans fin. En fond de ce tableau, la violence des guerres, en Ukraine et ailleurs dans le monde… un terrain chaotique pour la presse où certains se délectent. S’échapper, partir à la montagne pour un peu de fraîcheur. Que la montagne est belle ! Sous les mélèzes les campeurs apprécient chaque instant à l’air libre. Fini l’enfermement ! Les randonnées vers les sommets sont un délice. Oublié le vacarme mondial ! D’innombrables fleurs multicolores, la danse des papillons, le cri des marmottes et le chant des torrents sont maintenant sur le devant de la scène et enrichissent nos journées. Un orage imprévu, une coulée de boue assez impressionnante avec ses blocs de roche et tout le village se mobilise. Chacun est à la tâche pour déblayer la route. Quelques bavardages autour du phénomène, personne n’a trop envie de s’étendre mais chacun sait que ces décrochages de la montagne se répètent de plus en plus souvent. Ambiance solidaire, chaleur humaine, partage… on prend de la hauteur et que ça fait du bien ! Plus tard dans l’été interminable le port et le bateau qui nous emmènera sur l’île assaillie cette année. Comme ils disent à la radio, les destinations sont plus proches, moins d’exotisme, plus de simplicité. Les touristes pour la plupart restent sur la côte pour profiter de la baignade. Notre village accroché à la montagne reste calme et silencieux. Nous apercevons la mer au loin mais pas les vacanciers. La vallée au-dessous respire et nous respirons avec elle. Il y a toujours un petit vent dont nous savourons le souffle bienveillant. Les couchers de soleil sont sublimes. Peu de réseau, plus de nouvelles ! Le silence, un rapace qui tournoie dans le ciel, quelques chèvres et leurs chevreaux qui passent paisiblement, le ciel étoilé le soir, une chauve-souris au vol furtif qui se faufile d’un toit à l’autre… comme si de rien n’était.
Françoise

 

 

  CALIENTE 2022 aux Lecques Tout d’abord apparemment nous allions vers un été libéré des contraintes sanitaires de 2019, 2020 et 2021. Liberté et amitié, les retrouvailles, les routes, les trains, les avions, les embrassades, les fêtes, les foules, tout était ouvert. Les commerçants balnéaires se frottaient les mains, les plages privées se sont fait une beauté pour leur réouverture, déco de paille, de bambou et de bois exotique. L’été se présentait plein d’espoir.  Le mois de juin fut chaud, les bacheliers ont souffert pour leur révision et leurs examens. Les trains étaient remplis bien à l’avance, pas facile de trouver un billet. Il y eut énormément de monde sur les routes. Jamais la Méditerranée n’a été aussi « bonne », mais bonne pour qui ? Pour les baigneurs, les nageurs, les barboteurs, les lanceurs de balles et joueurs de raquettes. Enfin, pour les chanceux qui ont pu trouver une place de parking! Nous, la chance, on n’a que la rue à traverser pour être à la plage, donc tous les matins tôt, à l’heure des bébés tant qu’ils ont la place de construire des châteaux de sable, nous allions jouer au ballon jusqu’à la ruée de 11h. Mais les fonds sous-marins ont pâti de cette chaleur, de cette huile solaire dégoulinante des corps transpirants, des bruits de moteurs, des gaz et fuites de carburant, des remous et du saccage des ancres de la pléiade de véhicules marins. On dirait que tout est motorisé à présent, sur terre et sur mer, les trottinettes, vélos et même les planches de surf s’équipent. L’homme deviendrait-il assisté et handicapé, à chercher toujours plus de déplacements et plus de vitesse à moindre effort ? Et que dire de l’addiction au téléphone portable et aux écouteurs même pendant la baignade ? Hormis la navigation silencieuse et élégante des paddles et kayaks, des Optimists, catamarans et planches à voiles au milieu du tumulte, la baie est labourée des sillages de skis nautiques, bouées géantes, skurfs, jet-skis, hors-bords, et le ciel labouré de parachutes ascensionnels, ULM, longs courriers et hélicoptères de secours… et chaque midi, passe un bimoteur traînant une bannière publicitaire, réminiscence de notre enfance. C’était le poulet Cassegrain à l’époque, et là c’est pour la chaîne de magasins GIFI. Ma promesse quotidienne de cet été 2022 aura été de ne jamais y mettre les pieds.
Elisabeth

Tonnerre de Brest …


 

 

 Depuis quelque temps, déjà, la Bretagne se rappelait à lui, par bribes. Des petits riens qui le faisaient tressaillir. Il se disait alors qu’il était temps d’y retourner, de réveiller ses gènes bretons, et de les laisser s’exprimer, à nouveau. Faire de la place à cette lumière si particulière, ces nuances infinies de gris et de bleu. Laisser l’odeur du goémon lui chatouiller les narines. Retrouver une certaine part d’enfance, et la laisser agir comme une marée montante. Puis reprendre le fil de la vie, et pourquoi pas la course de la vie…même s’il avait bien compris qu’il lui faudrait maintenant mieux gérer tout cela.

Il avait mené sa carrière professionnelle à grandes enjambées, sautant d’un continent à l’autre. Il avait connu le succès, et même une certaine renommée dans le monde des architectes. Il avalait tout, les différents fuseaux horaires, la pression des appels d’offre, puis celle des chantiers. Il semblait indéboulonnable. Jusqu’à ce jour de juillet où il n’avait pas réussi à sortir de son lit. Son corps, jadis d’acier, lui semblait tout d’un coup tout effrité, et ne répondait plus. Le diagnostic était tombé, implacable : Burn Out. Un corps et un esprit à marée basse, des idées sans suite qui se succédaient, une volonté dont le gouvernail ne répondait plus.

A une vie trépidante avait succédé un temps de pause obligatoire. Il ne gardait aucun souvenir des premiers temps, il se souvenait seulement que son esprit mâchouillait du gris, inlassablement. Rien n’arrivait à s’accrocher durablement dans son cerveau épuisé. Jusqu’à ce jour de juillet où sa femme, en ouvrant les volets comme chaque matin, lui avait demandé : « à quoi penses-tu ? ». A sa grande surprise, il avait répondu : « A une gorgée de bière fraîche ». Il avait ajouté, quelques minutes plus tard : « et à tout ce que je n’ai pas eu le temps de faire ces 30 dernières années ! Si on partait tous les deux, à Quimiac ? »
Dominique

Une affaire à suivre...

De marées…


Nuit blanche et matin d'été

Elle avait soif. Il avait fait si chaud cette nuit. Elle a bu cette bouteille jusqu’à la dernière goutte. Son gosier a réveillé ses sens comme des fleurs desséchées qui reprennent vie. L’estomac a accueilli la fraîcheur et tout le bas du corps a répondu par une onde satisfaite. Le jour commençait à poindre. Dehors, les arbres affichaient leurs feuillages sur le fond clair. La matinée allait être nuageuse.
Elle a posé cette fiasque de verre et retourné l’étiquette : la bière s’appelait « Nuit blanche ». Six heures du matin, il n’y avait plus que ça dans le frigo. Elle ne s’était même pas couchée. Dans la chambre, le lit était resté fait, les oreillers posés et non froissés. Elle n’avait ni dormi, ni pris la moindre minute pour s’allonger.
Il fallait qu’elle écrive. Il ne fallait pas rater çà, sinon, ce serait comme un rêve qui disparaît après le réveil. Il fallait donc cette nuit blanche à bannir le sommeil pour raconter tous ces événements. Elle avait tellement peur de l’oubli. Elle avait donc écrit toute la nuit, d’un seul jet, sans trop se rendre compte des heures calmes qui passaient. A présent, c’était le jour. Les nuages étaient là comme prévu. Elle est sortie. Il lui fallait un peu d’air et de mouvement pour répartir le breuvage dans son corps alourdi. Elle a pris le sentier sablonneux de la plage.
Dans la petite baie, il n’y a personne. La marée a commencé son chemin descendant. Il y a des bateaux qui reposent sur leurs dérives et gouvernails, comme de gros poissons sur leurs nageoires. Elle, la méditerranéenne, elle n’a pas souvent vu ça, et en tous cas, comme ici, jamais. Elle s’est dit que c’est un beau spectacle et qu’elle aurait pu mourir idiote de ne jamais l’avoir contemplé. Elle est seule ici. Dans la petite baie, sur cette plage, il n’y a personne. Elle se dit qu’un observateur l’aurait vite repéré. Elle pense à Vendredi sur l’île de Robinson Crusoé.

Si elle pouvait, elle se mettrait à courir, mais il y a le poids de cette nuit blanche. Elle a longé la route qui arrive là. Elle va chercher un commerce ouvert. Pourtant, il est encore tôt. Dans la rue, bien sûr, tout est fermé. Heureusement, il y a des vitrines. C’est là qu’elle s’arrête devant cette galerie d’arts avec cette sculpture qui représente un homme qui court. Il est tout constitué d’écrous hexagonaux. C’est cette étrange table de six qui prend la fuite devant elle, sans bouger. Tout à l’heure, elle voulait courir et le voilà lui, ou elle pourquoi pas, qui détale dans son costume de quincaillerie.
Elle sourit intérieurement. Flâner, ça donne parfois des idées. Est-ce qu’elle va écrire ça aussi ? Elle aurait bien besoin de se mettre quelque chose dans le ventre. Elle se sent un peu engourdie. Ça la prend autour des yeux et dans les chevilles. Elle n’a pas d’autre choix que de revenir. La revoilà sur la petite grève. Ce n’est pas possible la vitesse de la marée. Les bateaux sont maintenant tous des échassiers avec leurs becs et leurs pattes dans la vase. Leurs ventres sont à l’air. Un pâle soleil s’est levé et éclaire quelques façades. Elle n’est plus seule, elle a vu d’abord que d’autres traces que les siennes se sont imprimées dans le sable, puis elle a vu les deux types penchés sur les flaques d’eau. Des pêcheurs à pieds, elle n’en avait jamais vus, ça non plus. Que peuvent-ils rechercher ? Est-ce qu’ils vont attraper des palourdes ? Pour un peu, elle aurait envie de spaghettis, avec ces coquillages, bien al dente, comme les aime son amie sicilienne ; elle fera exception aujourd’hui ; dans sa famille napolitaine, on les préfère plus tendres et plus cuits. Elle n’ose pas aller leur parler. Elle n’a que ses palourdes dans la tête, pas des vers d’appâts.

Elle revient à la maison, elle aime bien cette tour, ça lui rappelle celle où Montaigne avait placé sa librairie, avec le trou pour évacuer sur les murs, en ces temps où les chasses d’eau n’existaient pas et cet autre orifice-fenêtre, vers la chapelle, pour assister incognito à la messe. Elle n’a pas oublié ça, elle qui écrit systématiquement tout, elle ne l’a jamais noté, mais c’est resté dans sa tête. Si elle pouvait, elle monterait l’escalier, on lui a dit qu’il faisait 72 marches, tiens c’est aussi un multiple de six, pour accéder à la terrasse là haut.
Il fait grand jour à présent, sur le mur aveugle, peut-être le pignon nord, il y a cette affiche avec l’oiseau de nuit qui dit : A quoi tu penses ? Ce n’est pas compliqué est-elle tentée de lui répondre, je viens de l’écrire, là…
Puis, elle a vu le pigeon qui regarde cette chouette de papier.
Pourquoi, ne se métamorphoserait-elle pas en pigeon ? A vrai dire, après cette nuit blanche et cette petite promenade, elle est pleine de messages.
Gérard

Armorique


Il n’y a personne. J’ai perdu encore quelques écrous. Je m’enfuis avant l’ouverture, vite, ils vont arriver. Le jour se lève et me fait miroiter et disparaître peu à peu.

Je suis le Fantôme Mécanique, l’âme de ce hangar autrefois dédié à la réparation des moteurs de barques, tracteurs et autres engins agricoles. Avant, lorsqu’il n’y avait que des fermes autour du village. Avant l’immigration massive des urbains, avec leur style industriel à la noix qui a conduit au feu tous les bahuts buffets armoires sculptées lits clos tables et bancs de chêne, fauteuils robustes où l’on ne pouvait s’asseoir que bien droit…

Je suis le fantôme créé par les vraies mains pleines de cambouis des industrieux, ces rougeauds en salopettes et casquettes crasseuses qui de génération en génération m’ont construit, assemblé, soudé, fantôme-fantasme à la silhouette élancée et musculeuse d’un Spiderman, héros mille fois redessiné, plus grand que la moyenne des gars du village.

Et me voilà planqué dans ce chantier naval, où le plastique a remplacé les bordées de bois, le Kevlar et l’aluminium les voiles latines couleur de rouille, les odeurs d’essence le bruit des rames. Il y a plein d’écrous dans des petits tiroirs, du bel et bon inox, j’en choisis quelques-uns, dans le fol espoir qu’un jour, peut-être…

Le temps lui n’a pas changé au cours des siècles, nuages et marées, en-dessus et en-dessous la multiplication des habitations et embarcations. Des gens d’ici qui m’ont connu au fond de l’atelier, il n’en reste peu, et dans leurs vieilles mémoires j’existe encore, la fierté du village, bien cachée du rare public de l’époque.

Dans la journée c’est en forêt que j’habite, avec mes amis les oiseaux. Perchoir scintillant, j’abrite leurs amours. A la tombée de la nuit, la hulotte ouvre ses grands yeux et me demande « À quoi tu penses ? ». Elle, c’est à son dîner urgent qu’elle pense, elle n’a rien avalé depuis la nuit précédente. Elle pense à ses œufs bien au chaud dans son ventre, à son nid douillet prêt à les accueillir incessamment. Elle et moi rôdons la nuit, tandis qu’elle vole parmi les arbres et les buissons, je parcours mes souvenirs.

La nuit est blanche sous la pleine lune. Festoient les fantômes, planent les écrous, le faucon-bélier rejoint les noctambules, la bière coule à flots dans les réminiscences des fêtes d’antan. Forêt de Brocéliande, le profane se frotte au sacré, résonnent les binious et tapent les sabots. Les êtres magiques sont de sortie, les anciens arborent les masques mythologiques des rituels renouvelés. La nuit est blanche, longue et secrète en cette grande marée.

Au matin les bateaux flottent, la plage est déserte, le temps n’a pas changé, gris et doux. C’est dimanche, la pleine mer attend ses ouailles, à voile et à moteur, cirés jaunes dans tout ce gris bleu vert beige, sous le vol immaculé des mouettes et goélands. Nul ici ne se doute de notre présence sous les feuillages et dans les canopées alentours, nul ici ne se doute de nos rendez-vous nocturnes mensuels tandis que les écrans les hypnotisent et les bistrots les alcoolisent.

Cette nuit, j’ai regagné quelques écrous, la hulotte a pondu et dort sur ses œufs, tandis que les oiseaux de la forêt volètent à travers ma silhouette creuse en piaillant de joie et de désir.
Elisabeth

 

Atelier nomade avril 2022, « Passage de la mode »


 

 

 

 

 

L'invitation durant ce week-end à écrire autour de l'idée du vêtement, celui d'hier et d'aujourd'hui, le nôtre ou celui de l'autre pour, entre « projets, finitions, coupes et corrections » tisser les mots de vos saisons...

 

Des Je me souviens, à la manière de Perec...

Je me souviens de cet ensemble Cacharel troué en trébuchant la première fois que je le portais.
Je me souviens du regard scandalisé de ma grand-mère à la vue de la culotte rose fuschia portée sous ma robe de mariée.
Je me souviens de cette mini-robe sexy en mohaire noir que je mettais en frigo pour la préserver.
Je me souviens du magazine 100 idées et de ses modèles faciles et gais que je cousais et tricotais pour mon bébé.
Je me souviens des jolies culottes à trous trous tricotées par mon arrière-grand-mère, dont j’avais honte.
Je me souviens de ce chandail tricoté avec les laines détricotées de pull-overs de mon père.
Je me souviens de ce même pull s’arrachant des filières du voilier et se perdant dans l’océan.
Je me souviens de l’atelier de couture de ma grand-mère d’où sortaient à chaque saison les nouvelles tenues des bourgeoises marseillaises.
Je me souviens du carton de bouts de tissus somptueux de toute une vie de couturière.
Je me souviens des robes racontées avec mille détails et anecdotes pour chacun de ces bouts de tissus exhumés.
Je me souviens des vêtements excentriques, et les chaussures aussi, de ce magasin soldant les grandes marques.
Je me souviens des vêtements improbables chinés aux Puces ou au vide-grenier, veste noire en cuir et peau de chèvre, perfecto en skaï rouge…
Je me souviens de cet immense pull gris-vert à torsades piqué à mon mari et porté encore longtemps après le divorce.
Je me souviens des années en uniforme jean 501 délavé et pull noir moulant.
Je me souviens des tricots de peau – maillots de corps – marcels et des slips kangourous de mes petits frères.
Je me souviens des combinaisons en nylon sous les robes.
Je me souviens de mes tabliers d’écolières, uniformes bleu marine à croquet blanc à l’école religieuse puis blouses en nylon bigarré à l’école communale.
Je me souviens d’avoir entendu que j’étais plus belle nue que vêtue. Je me rappelle de l’odeur des magasins de tissu à nulle autre pareille, odeur feutrée parfumée de naphtaline .
Je me rappelle des culottes courtes de mes frères et des jupes plissées de ma sœur et moi, pas le droit de porter des pantalons longs avant le collège.
Je me rappelle des barboteuses brodées à la main, des robes à smocks et à dentelle de ma toute petite enfance.
Je me souviens de toutes les couleurs à la mode qui se supplantaient chaque année.
Je me souviens de mains timides glissées sous le bord des vêtements. Je me souviens des tas de vêtements éparpillés en hâte au pied du lit. Je me souviens de la machine à coudre offerte par ma belle-mère après le divorce.
Elisabeth

 

 

Je me souviens du blue- jean que me piquait ma sœur régulièrement.
Je me souviens que je râlais « tu vas encore me l’élargir ».
Je me souviens de l’émotion que provoque l’achat du premier soutien gorge.
Je me souviens de la robe rose en laine offerte par mon père quand j’ai six ans.
Je me souviens que j’étais plutôt un garçon manqué à cheveux courts et pantalons.
Je me souviens de la photo de Marilyn M. dont la robe se soulève au dessus d’une bouche de métro.
Je me souviens que j’avais appris à faire un noeud de cravate pour je ne sais quelle cérémonie.
Je me souviens des vêtements qualifiés de hippie chic que porte Diane Keaton dans le film de Woody Allen « Annie Hall ».
Je me souviens des commentaires sur la robe que portait Cécile Duflot nouvellement nommée au gouvernement.
Je me souviens de la coquetterie flamboyante des femmes d’Afrique de l’ouest.
Je me souviens que je me trouvais vraiment moche à côté d’elles avec mon short tout fripé.
Je me souviens de mains tâtonnantes dans le noir qui cherchent l’attache de mon soutien gorge.
Je me souviens de mains plus expertes qui elles ne cherchent pas.
Je me souviens qu’une copine m’a raconté le plaisir charnel de ne pas porter de culotte. Et celui aussi de ne pas porter de soutien gorge.
Je me souviens qu’on dit d’une femme qu’elle a « une tête à chapeau ».
Je me souviens que Brigitte Macron porte toujours des robes ou des jupes qui lui arrivent au dessus du genou.
Je me souviens de mon fils qui recouvrait son crâne de la capuche de son sweat souvent noir comme tous les adolescents.
Je me souviens d’un beau pull en cachemire porté une seule fois car lavé trop chaud.
Je me souviens que Céline Dion a déclaré posséder plusieurs centaines de paires de chaussures.
Je me souviens que les Guignols de l’info représentaient la femme de Jacques Chirac la main crispée sur son sac à mains
Djamila

 

 

Je me souviens du corset de ma grand-mère qui faisait ressortir les bourrelets de graisse.
Je me souviens des vêtements de travail de mon père épais et tachés de sang.
Je me souviens de l’horrible casquette que je devais porter à l’école.
Je me souviens du pantalon d’hiver en tissu qui grattait et que ma mère repassait systématiquement.
Je me souviens de la tunique rouge cousue par ma sœur et que je portais pour le spectacle de Noël.
Je me souviens d’une robe bleue transparente dans laquelle tu étais nue.
Je me souviens de tes gants en cuir dont les bouts sont coupés pour le vélo.
Je me souviens de ta jupe colorée et fleurie que tu faisais flotter en descendant l’escalier.
Je me souviens du string qui me faisait déglutir un instant.
Je me souviens de l’anorak dont la fermeture éclair coince systématiquement et que je garde pourtant.
Je me souviens de la photo où ma sœur et moi portons des costumes bretons rien que pour le cliché.
Je me souviens des slips féminins de dimensions surnaturelles séchant sur le fil à linge de la voisine.
Je me souviens des pièces en plastique que ma mère collait avec le fer à repasser aux coudes de mes pulls usés. Je ne me souviens plus de ce que je portais le 11 septembre 2001.
Je me souviens des difficultés à dégrafer les attaches de soutien-gorge.
Je me souviens des casquettes horribles que portait mon père.
Je me souviens des premières chaussures à bouts pointus que je portais à l’époque « yéyé ».
Ben

 

 

Je me souviens de sa robe fuschia et de ses bras nus au hâle si parfait et si lisse. Dans les tribunes du Palais Bourbon, un jour du printemps de 1976, l’étudiant que j’étais écoutait Simone Veil défendre son projet de loi anti-tabac.
Je me souviens de mes pieds mouillés ce matin d’été, dans les champs près du Mont-Blanc. Mes baskets neuves ne résistaient pas à la rosée.
Je me souviens de la fourrure du manteau de ma grand’mère que j’aimais caresser.
Je me souviens de la tache de tapenade sur mon pull-over.
Je me souviens de la brûlure sur ma veste et des cendres de ces cigarettes.
Je me souviens de la déchirure et du trou à mon genou dans la flanelle, après une chute sur le terrain de foot.
Je me souviens des craquements de mon short trop petit.
Je me souviens des cravates d’un autre temps, je me souviens des nœuds.
Je me souviens des premiers laçages et de mes maladresses avec ces étranges ficelles.
Je me souviens de ce vieux jean gris acheté sur le marché et qui déplaisait à ma fille.
Je me souviens du déclic du container et du nœud du sac-poubelle, quand je l’ai jeté avec une vieille paire de baskets ;
Je me souviens de son maillot de bains avec des fleurs blanches. La lumière du couchant était douce, le ressac nous chantait le bonheur de l’avenir. Le petit bruit du velcros que l’on détache du col pour se dégager la gorge. Le froissement des draps et de nos respirations régulières, alors qu’un œil s’éveille dans la nuit. Le long zip de la parka qui se referme. Un vêtement ça parle, mais toujours à voix basse.
Gérard

 

 

 

 

Je me souviens que le t-shirt ressemblait à un T.
Je me souviens que les body ressemblaient à un corps.
Je me souviens que les «  strings» ressemblaient à des cordes.
Je me souviens que les « tops » donnaient le départ d’une aventure.
Je me souviens que les bermudas faisaient rêver.
Je me souviens que j’ignorais d’où venait le mot trench-coat.
Je me souviens que je disais « sweetshirt » comme pour un bonbon.
Je me souviens des nuisettes en nylon.
Je me souviens des combinaisons qui se mettaient en vrille sous les vêtements.
Je me souviens des bas qui tenaient tous seuls.
Je me souviens des incontournables jupons en dentelle de Calais.
Je me souviens des cerceaux métalliques sous les jupons.
Je me souviens des motifs géométriques des robes de Courrèges.
Je me souviens des complets aux trois pièces.
Je me souviens des tennis Stan Smith en cuir épais.
Je me souviens du bout pointu des chaussettes tricotées à la main.
Je me souviens que les pattes d’ef trempaient dans la boue quand il pleuvait.
Je me souviens des pulls en laine Anny Blatt tricotées aux aiguilles n°1.
Je me souviens des gilets tissés qui sentaient le mouton.
Je me souviens de ma première polaire lourde et inusable.
Je me souviens des bikinis en vichy rouge et blanc.
Je me souviens des pantalons de ski terminés par une patte à glisser sous le pied.
Je me souviens des mouchoirs de Cholet grands comme des serviettes de table qui faisaient gonfler nos poches

Sabine

 

Six fois six, cycle écriture de nouvelles 2021/2022


  D’octobre 2021 à mars 2022 ils étaient six à tisser chacun(e) six histoires autour d’une photographie en multipliant les points de vue : c’était le projet de ce cycle d’écriture de nouvelles.

Pour retrouver les textes réunis en un recueil, joindre le contact: 06 13 50 34 94.

Cycle écriture de nouvelles 2020/ 2021


 

   Un drôle de combat

Il a cinquante-cinq ans, et restaure, seul, une bergerie dans la Vallée Etroite. Il choisit exclusivement des matériaux régionaux. Il dénonce le coût des transports. Il porte toujours un jean bleu foncé et un pull en jacquard couleur bordeaux. A vingt ans, il réside au hameau du Roubion, et décide de s’engager dans la protection de sa vallée. Il dérange par ses convictions, son esprit sans concessions. En 2010 il participe à la Marche Transalpine pour le respect de la biodiversité. Il aime le terrain, le combat, l’engagement. Il dénonce la hausse du prix des terrains, le tourisme. Il exaspère. Il a dix-huit ans quand il effectue son service militaire dans les chasseurs alpins. Il envisage sérieusement de s’engager dans l’armée mais son rapport complexe à l’autorité le fait renoncer au dernier moment. Il n’est pas grand mais son corps est modelé par des années de pratiques sportives en montagne. A trente ans, il survit à une coulée d’avalanche dans le massif des Ecrins. Il entre au mois de mai 1998 au Service Départemental d’Incendie et de Secours. On le dit mutique. Mais ses moues valent tous les discours. Quand il prend la direction du refuge des Trois Monts, qui appartient au réseau Oxygène +, il écrit à sa mère que sa vie est là... A cinquante-cinq ans, vêtu de son éternel jean bleu foncé, il décide de faire, à pied, le tour des villes et des villages de son département pour témoigner de ses années d’observation en montagne. Son combat pour la préservation des sites lui vaut beaucoup d’inimitiés. Il dénonce l’abattage des arbres, la corruption des élus. Le 22 mars, il est pris à parti par des motards éméchés, qui l’agressent à coup de casque. Le réchauffement climatique le hante. On ne lui connaît pas de famille, seulement des convictions. Cela lui jouera des tours. A l’aube de ses soixante ans, et malgré ses précédents échecs, il décide d’entamer une dernière action de sensibilisation auprès des élus de son département. Le soir il sera mort, il est beaucoup trop gênant.

Dominique Fouassier, juin 2021
Illustration Ed Fairburn

 

 

 

  Le petit déjeuner

Elle ouvre les volets de la porte fenêtre qui donne sur le jardin. Il ne pleut pas. Les quelques rayons de soleil qui ne jouent plus avec les nuages réchauffent un peu l’intérieur de la maison. Sa robe de chambre est usée mais bien chaude. Elle va prendre le petit déjeuner à l’intérieur. Il fait encore un peu frais dehors et elle pourrait attraper du mal. Derrière le haut mur de clôture du jardin, un bruit de tracteur qui passe. Les tracteurs sont de plus en plus gros et vont de plus en plus vite. Le hameau est trop petit pour qu’ils mettent des ralentisseurs, et le maire soutient son électorat paysan. La serrure du lourd portail en fer de l’entrée principale est fermée à double tour. Il n’est plus ouvert tous les jours.

Elle met de l’eau de bouteille à chauffer sur le gaz, elle allume le four pour réchauffer le croissant. Et aussi le pain d’hier sur le grill. Ca lui laisse un peu de temps pour prendre des médicaments. Bon, ne pas se tromper, ne prendre que ceux prescrits pour ces dix jours et les habituels, les journaliers. Avec ce qu’elle a pris hier soir, elle a bien dormi. Le pain sur le grill commence à fumer. Il est encore noirci mais elle l’aime ainsi. Dehors, les oiseaux sautillent, ils attendent les quelques miettes qu’elle va leur donner après le petit déjeuner. Non, maintenant, car le petit rouge-gorge est là. Il faut lui donner tout de suite avant que les pigeons arrivent et le chassent. Avant, le chien courait après, mais il n’est plus là, son maître non-plus. Elle a tondu la pelouse hier avec satisfaction et elle aime sentir cette odeur d’herbe fraîchement coupée. Le cerisier du Japon a bien tenu l’hiver. Le romarin et le rosier se disputent le coin près de la porte fenêtre. Il faudra en replanter un des deux ailleurs. Peut-être près de la buanderie.

L’eau bout pour le thé vert. Le grand bol bleu bien rempli pour démarrer la journée. Elle sera comme les autres, à moins que le chauffagiste ait le temps de passer pour la chaudière. Noter sur le bloc note ce qu’il faudra lui demander. Il est serviable et il pourra peut-être changer l’ampoule  du lustre de la salle à manger.

Sur la table, s’entassent les revues et les journaux. Peu de place pour accueillir des convives. D’ailleurs, il n’y a plus d’invités. C’est trop de soucis. Il faudrait tout nettoyer, essuyer tous les bibelots, les vases, les cendriers souvenirs, épousseter tous les meubles de la grand-mère, toute la poussière qui vient si vite surtout quand on allume la cheminée; et puis il faudrait  leur faire à manger. Une tarte pour le quatre-heures, ça c’est possible, mais une  amie à la fois, pas plus, en étant prévenue à l’avance. Et qui pourrait passer ? La voisine ? Elle est très gentille. Elle m’aide pour les courses. Elle a deux enfants en bas âge et est très occupée. Avant, je pouvais sortir, aller voir une expo avec Christine, mais elle a déménagé, j’ai des nouvelles par téléphone. A deux, c’est plus sympa. Maintenant, je ne connais plus personne que ça intéresse. Seule, ce n’est pas pareil.

Est-ce que j’ai pris ce médicament-là ? Oui, je l’ai posé sur les journaux. Tiens, je n’ai pas lu la revue reçue hier… Il y a tellement de choses à penser et à faire.

Dehors, ça s’assombrit, il risque de pleuvoir.

Gilbert Benony, le 19-03-2021

 

 

 

Avant de fermer les yeux

Dans le fouillis des herbes sèches, les bâtons dégagent un alignement de quelques pierres taillées, la rigole de granit est toujours jointive. Un beau travail que n’aurait pas renié le burin du sculpteur.

En regardant leur découverte, les deux frères perçoivent comme un cliquetis de chaîne au cou des vaches, un grognement de bête qui se couche, un froissement de paille, comme un remugle de fumier.

Il ne reste presque rien mais c’est sûr, l’étable était là.

Le but de leur périple était bien de retrouver ce vestige désert sur le haut plateau ardéchois.

Les genêts et les fougères envahissent l’espace en contre-bas. Le vent pousse des vagues dans la prairie jaunie entre les touffes végétales. On n’a plus fauché depuis longtemps.

Ici, les hivers ont été terribles, jusqu’à trente degrés au-dessous de zéro et la Burle qui soulève des montagnes de neige, bâtit en quelques heures des congères infranchissables. Un vent qui ne permet pas aux plus forts de rester droit, qui tue les égarés.

Ce soir, les grillons accomplissent leurs derniers rites et les frênes têtards ont encore leur feuillage au-dessus des chemins creux, des chemins qui ne résonnent plus du passage des charrettes.

Personne ne coupera plus les jeunes rameaux pour nourrir les bêtes à la fin de l’été. Une moisson dans les arbres plantés exprès le longs des chemins, qui préservait le foin d’un hiver qui allait durer sept mois.

Quelques murets de pierres sèches ont résisté aux sangliers. L’obstination des mains nues les avaient érigés. Assurer pendant les mois sans gel, la survie annuelle de toute la ferme. L’obsession de cultiver et faire provision avant la neige suivante. Les mauvaises années tuaient bêtes et gens.

Comme une grosse lèvre, les nuages venus du Sud recouvrent lentement la montagne. Ils entendent encore la vieille Célestine de leur enfance qui leur parlait français mais qui avait gardé les tournures de son patois natal. « Quand c’est Marin, les bêtes se serrent, elles coupent les clôtures ». Ils comprenaient « Quand le vent vient du Sud avec son brouillard, les vaches inquiètes s’agglutinent au coin des pâturages et les clôtures peuvent céder sous la poussée du troupeau ».

Si le vent ne tourne pas, il y aura de la pluie cette nuit.

Dans la lumière dorée du presque soir, tout est relief. Pendant ces quelques minutes de grâce, le moindre nuage de moucherons est une pensée magique.

Le taureau et ses vaches ruminent tranquillement regroupés comme par hasard dans le pâturage. Ici, les bêtes ne connaissent plus la main de l’homme, elles ne rentrent plus le soir pour la traite, elles ne sillonnent plus les chemins. Et les ronces envahissent. Sur quelques rares sentiers, les cisailles et les scies des associations de randonneurs remplacent les troupeaux qui faisaient du propre de tout ce qui dépassait.

Cette nuit, toutes ces cornes dormiront à la belle étoile.

Méfiez-vous de leur placidité bovine, même les loups qui sont revenus ne s’y frotteront pas.

Ils appuient les bâtons contre la voûte effondrée, les sacs glissent des épaules. Ils déplient la carte d’état-major et le vieux cadastre napoléonien. Ils vérifient leurs repères, les deux ruines, le chemin, les courbes de niveau, reviennent aux cartes. Aucun doute, c’est bien ici.

En fouillant le lieu, ils exhument un clou mangé par la rouille, un clou de charpente forgé, une lauze ébréchée avec son trou de montage. Des reliques qui avaient peut-être connu la main de Victor.

Victor était donc né ici, il y a près de deux siècles, leur ancêtre.

A peine emmailloté, bien protégé sous la grosse veste de son père, le nouveau-né avait survécu aux quatre heures de marche dans la neige pour être baptisé le matin de Noël mil’ huit cent cinquante-six. C’était l’aîné.

Vingt ans après, le jeune-homme robuste avait quitté la ferme et ses onze frères et sœurs pour aller s’embaucher dans un village à douze heures de marche. Un nouveau puits de mine avait ouvert dans les Cévennes.

Au grand dam des maîtres du charbon, il remontait chaque année à la saison, le père commençait à vieillir.

L’été de ses vingt-huit ans, il était revenu avec Marie et leurs trois enfants.

Leur dernier né, Clovis, était mort pendant la moisson. Il avait quatre mois.

Cette nuit,Victor sera avec eux, la pipe au creux de sa main calleuse. Ils fumeront en silence en regardant le feu.

Tous siècles confondus, ils s’allongeront dans l’herbe sèche, le nez dans la nuit sans lune, ils finiront par fermer les yeux.

Une étoile filante écorchera l’au-delà.

Yves Delord

Marseille, 19 février 2021