Textes

Des "premiers jets", des occasions de se frotter à sa propre écriture et à celle de l'autre, quelques textes écrits en ateliers...

Logorallye


Etre au monde. Rester debout, l’œil grand ouvert
Au moins un instant, face au soleil.
Avant qu’il ne décline.
Une fois encore, voir et toucher ses petits seins.
Le grand frisson pour certains
Le début de la fin pour d’autres.
Ton allure, quand tu marches juste devant
Et que je peine à te suivre
Sans courir
Nous n’irons plus au bois
Il n’y en a plus
Juste du papier, des papiers
Sauf pour les sans… ceux dont personne ne veut
Pas plus au crépuscule qu’à l’aube
Bientôt ce sera l’été
La chaleur adoucira- t-elle ton inquiétude ?
Tu dis que la nature te réconforte
Va donc te promener sur les cimes
Prendre un peu de hauteur et respirer
C’est tout
Et de nouveau le voyage.
Loin du pays de la mélancolie dont tu connais pourtant
Certains remèdes.
Je partirai, vois-tu…
Révélation, rêver l’action
Et ce mot imprononçable : «  Nabukodi… »
Le répéter cinquante fois, comme une punition
Ou un exercice de diction
Temps de chiens ! Tiens donc…
Si on se faisait une tisane ?
Un sachet d’humilité à la sauge ou au romarin.
Qu’en dis-tu ? Dis, poupée de cire…
Tu dis non
Tant pis.
Je boirai seule. Rituel sensoriel en solo.
De toute façon je ne t’aime plus
En cette minute précise de mars, je déclare que
Voici venue la première minute du reste de ma vie.
Djamila

 

Odeurs de mon pays


   

 

Riedisheim

Je ne sais pas si je me sens vraiment appartenir à une région, mais quand j’interroge les souvenirs liés à mes perceptions olfactives, c’est toujours la maison et le jardin de mes grands parents à Riedisheim qui reviennent.

Odeur confinée des meubles et du parquet régulièrement cirés et frictionnés. Odeur envahissante de la soupe de légumes qui mijote dès le matin même en été. Odeur des tartines du gros pain fraîchement coupé.

Odeur du journal que mon grand-père plie, déplie et replie. A peine la porte passée c’est l’émanation forte, confuse et chaude du grenier qui est là.

Puis c’est le craquement des marches en descendant qui libère un parfum subtil.

En bas la grande et lourde porte s’ouvre sur le jardin, et là embrasement, fouillis des senteurs et dilatation des narines !

En avant du tableau des odeurs quelques moutons derrière la clôture. A chaque déplacement ils envoient leur présence en rubans aléatoires que mon nez animal flaire avec délice. Il n’y a qu’ici que je retrouve cette empreinte animale si particulière.

Puis c’est la putréfaction des fruits tombés et abîmés qui se révèle, quetsches, mirabelles et pommes. Plus délicate la senteur de l’herbe foulée, fraîchement mouillée ou sèche et que je respire à pleins poumons dans mes déplacements vagabonds.

       Qu’est ce qui a fait que dans ce jardin, toujours aussi présent, j’ai le souvenir d’avoir ouvert mes sens ? J’y ai bu chaque son, chaque image, chaque sensation, chaque odeur et me suis laissé envahir par les humeurs de la vie dans ce qu’elle a de plus réconfortant.
Françoise, janvier 2019

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Odeurs de ma ville


Non je ne me souviens plus des odeurs de l’Afrique, du Liban, celles dont je me souviens
émanent de ce lieu où je vis maintenant.

L’odeur de quelques parcs, ilots de verdure, ponctués d’espèces dignes de jardins botaniques

L’odeur de la mer, des embruns,  sur une plage déserte, dans le petit matin.

L’odeur de la pêche sur la criée du port, poissons frétillants, crustacés ruisselants, 
avant que ne se vident les étals débordants.

L’odeur des épices, leur mélange de couleurs qui expriment leurs puissants arômes
venus de rives lointaines. Et les herbes de Provence fruitées et apaisantes qui imprègnent nos plats
du Sud proche, en deçà de la mer.

Et les odeurs humaines, amalgame de sueurs fortes et parfois repoussantes. 
Odeur d’urine des hommes, des hommes de la rue, SDF, mal logés.
Odeurs de poubelles ouvertes, de containers éventrés.
Relents entêtants dans la chaleur de l’été. Autant de signifiants d’une ville appauvrie.

Et l’odeur des grenades, grenades lacrymogènes quand la ville se révolte contre son mal à vivre.

Restent enfin les collines et les crêtes des calanques, qui sertissent la ville, 
leurs odeurs de broussailles, de garrigue, de pins ou même d’oliviers selon où l’on chemine.

Souvenirs et empreintes des senteurs de Marseille, ma ville, mon pays, où s’entremêle le monde.
Lili, janvier 2019


Le bruit que fait le monde







Ecoute…

Ecoute l’haleine de la terre qui hante ses soupirs. Je voudrais être là sans rien  avoir à dire. Sans avoir à sourire. Être là, simple balancement dans les
exhalaisons d’humus.

Ecoute cette soie qui glisse et qui lape son ventre.

Ecoute les oscillations végétales dans le vide du silence, dans le néant léger.

Ecoute le souffle des cerises sures tombées sur le sentier, l’expiration putride des amanites pourries, une gifle au sourire, une insulte à la nuit.

Ecoute… je voudrais être là sans rien avoir à dire.
Yves, Octobre 2018

Des formes et des sons


Soirées entières

Banquette étroite

Deux chambres, pâle

Son visage, ses mains

Contre la paroi

Tu l’entends sortir

Pour atteindre sa fenêtre

Ou son lit, ou ses armoires

La bassine de plastique rose

Il ne reçoit jamais personne

Il est un homme d’habitudes

Il quitte sa chambre même le dimanche

Il offre aux badauds des grands boulevards

Sa valise ouverte, bouton et bague

Fonctionnement inconnu, primitif

Rien n’empêche, dans un but que tu ignores

Qu’il n’ouvre et ne ferme comme la goutte d’eau

Les bruits de la rue, que tu interprètes

Avec sa valise, peignes, briquets

Il vit condamné à tousser

S’écoule, la vie qui demeure

Tu fais si peu de bruit

Mais qui ne cesse jamais

Attentif il a peur

Rester silencieux

Un bruit minuscule

Sympathie secondaire

Ou au contraire

Frappant du pouce

Un coup, deux coups...
Laurence

 

 

Univers sonores


                  

   



                   Paul VERLAINE (1844-1896)
(Recueil : La bonne chanson) Le bruit des cabarets, la fange du trottoir,
Les platanes déchus s’effeuillant dans l’air noir,
L’omnibus, ouragan de ferraille et de boues,
Qui grince, mal assis entre ses quatre roues,
Et roule ses yeux verts et rouges lentement,
Les ouvriers allant au club, tout en fumant
Leur brûle-gueule au nez des agents de police,
Toits qui dégouttent, murs suintants, pavé qui glisse,
Bitume défoncé, ruisseaux comblant l’égout,
Voilà ma route - avec le paradis au bout. Les bruits: ils sont blancs, roses ou aériens... Bruits de fond, résiduels, aériens... ils balisent nos univers sonores.
 

La chanson d'automne de Claudine

Il y a le vent
Il y a les feuilles
Il y a le vent feulant à tes oreilles
Il y a les feuilles dansant comme des abeilles.
Il y a le vent
Il y a les feuilles
Et le vent te vole une chanson
Et les feuilles jonchent ton gazon.
Il y a le vent
Il y a les feuilles
Et le vent porte l'appel du petit chien
Et les feuilles crissent des mots de rien.
Il y a le vent
Il y a les feuilles
Et le vent hurle de furieuses sirènes
Et les feuilles chutent des cimes lointaines.
Il y a le vent
Il y a les feuilles
Et le vent clame le stade et ses joies
Et les feuilles crient écrasées sous tes pas.
Il y a le vent
Il y a les feuilles
Et le vent bouscule et le caddie roule
Et les feuilles accueillent les pigeons qui roucoulent.
Il y a le vent
Il y a les feuilles
Il y a le vent qui te pousse à rentrer
Il y a les feuilles t'appelant à rester
Il y a le vent
Il y a les feuilles
Et le vent t'appelle vers un coin de ciel bleu
Et les feuilles se replient en te disant adieu.
A quatre mains, Claudine et Noëlle



Ce que l’on emporte avec soi…


                                           
                                                                                           Man Ray


                                                                                             Apprentissages

                                      Cahier posé, oreiller blanc, feuillets sur la taie, froissée
                                      Cahier-livre perdu autour des mille écrits
                                      À la va-vite
                                      Lire le livre, le livre-cahier cassé
                                      Une lame vibre sur la peau mouillée
                                      Pique l’épée
                                      Le cri des biques aux longs cils, une larme coule, tire l’encre des mots violets.

                                     Tâche. 
                                      Une tâche sur taie, oreiller blanc. 
                  Des jours autour de la taie, fils tirés. 
                                      Les doigts effilés tirent les fils, taie d’oreiller
                                      Au petit jour, cuisse lisse, cuisse libre des draps froissés. 


                                     Libre livre, cassé. 
                                     Lire les feuillets posés sur l’oreiller, blanc. 
                                     Feuillets tâchés, cuisse lisse posée sur l’oreiller blanc
                                     Petit jour, le cri des biques de l’île, gicle le lait, frais. 
                                     Pique l’épée, baiser à côté, une larme-lave, petite île

                                     Une goutte de sang sur l’oreiller blanc
                                     Yves


Septembre 2018, pour une escale corse


 

Ici, ailleurs, partout,

 

Ici, le temps semble arrêté
Dans le silence des montagnes.
L’ailleurs est déjà loin, Dans la fureur et dans le bruit.

Partout, autour de moi Des collines et des cimes,
Des bourdonnements d’insectes, Ici, le rire des amis.
Ici, j’oublie l’ailleurs Dans cette île magique
Où partout la beauté, l’harmonie, l’amitié
Apportent à mon âme et mon cœur Un souffle de liberté.
Laïla

 

 

Ici, mer et montagne s’imbriquent
Ici, nature et silence se fondent

Ici, le tumulte intérieur s’apaise
Ailleurs, le bruit envahit la ville
Ailleurs, le béton étouffe le rivage
Ailleurs, la foule bouscule le rêveur
Partout, des regards s’échangent
Partout, des sourires réchauffent
Partout des mains se tendent
Lili

 

 

Ici, ailleurs, partout, Corsica
Ici, la lumière du levant, la caresse Du silence
Ici, le parfum du figuier.
Ce matin, présidés par l’horloge,
Réunis, sur le bois de la table,
On nous dit,
Ailleurs, les cris de la ville. Au de là de la mer apaisée
Et des vents Qui se taisent aujourd’hui
Partout, le monde court.
Ici, les nuits sont ouvertes
Les essaims Nous ont prêté la maison
Le coq a remplacé la mécanique.
Gérard

 

 

Musée Fech, à Ajaccio…


  • 
    Inventaire à la Prévert
    
     Un musée corse
     Une cour carrée, un beau palais,
     Une caisse d’entrée et un vigile
     Des vénitiens, des florentins et un Titien
     Et des cadres dorés…
    
     Une fête vénitienne, une déesse endormie
     Une vierge tropicale
     La tentation d’une chouette
     Et des cadres dorés…
    
    
     Un long couloir,
     Des natures mortes,
     Un perroquet, deux vaches, trois moutons,
     Une licorne et des poissons,
     Des fleurs, des fruits, une pastèque,
     Et des cadres dorés…
    Des Sainte Famille Avec ou sans le petit Jean-Baptiste Mais toujours le zizi de l’enfant Jésus Des Christ en Croix Des Descente de Croix Et des 
    cadres dorés…
    Saint Jérôme, Saint Antoine, Saint François Et tous les saints du paradis Des déesses, une sorcière, des femmes lascives Et des cadres dorés…
    Des hommes sévères lisant la Bible Homère jouant du violon Un enfant grattant un oud Des adolescents au regard brillant
    Et des cadres dorés…
    Toute la famille Napoléon Au rez-de-chaussée, En sculpture, en peinture, Dans des cadres dorés.
    
    Et des petits cadres dorés, Et des moyens cadres dorés, Et de grands cadres dorés Partout, partout des cadres dorés…
     Fab
    
    
    

Une idée de l’îléité


Villa Carli, à Cannelle, Martine Boudes, aquarelle

 

Ma terre

Cette terre qui m’a élue
Pas la tienne
J’en fais mon miel de ses ciels
Piquetés d’étoiles
De ses forêts irréelles
De ses rochers posés sur le sable rosé
De ses talus sculptés comme des topiaires
De ses aubes pâles et ses crépuscules tonitruants
Cette terre qui est mienne
Ah ! Nager dans ses eaux limpides
Me reposer sur ses plages abritées
M’allonger sur des feuilles de palmier nattées
Et boire du thé
Sur cette terre

Terre sans ville, terre-île.
Claudine