Centons

Une écriture en deux temps

Ecrire des centons à partir de sa propre production de figures de styles: anaphores, épiphores, anadiploses... excusez- nous du peu... Et puis découper. Coller. Ajouter. Sabrer. C'était un après-midi de mai 2016, à Marseille.

Ce jour-là il faisait beau. Le chat se léchait sur le divan.
Allons enfant, réveille-toi, il faut partir, la journée commence. Allons enfant, réveille-toi.
Le chat s'enroula paresseusement sur le divan.
Il faut partir, la journée sera longue. Longue comme un soleil d'été. Eté de ma vie. Printemps de la tienne.
Le chat s'endormit sur le divan. Ce jour-là on prépara le pique-nique. Ce jour-là, on partit gaiement et on marcha un moment.
Le chat rêvait sur le divan.
Alors il se mit à pleuvoir très fort et l'on revint trempés dormir près du chat sur le divan .
Fabienne

Déchaîné

Petite île oubliée. Oubliée et battue de mer et de marées, battue et rebattue de vagues fracassées. Petite île habitée, fracassée de tempêtes.
Ici tout est mer. Mer et sel, dans les moindres détails, les détails des détails.
La mer, le sel et les tempêtes.
Dans les terribles histoires de nuit à la veillée. Les terribles récifs, coques éventrées emportées par les vagues. Corps et choses jetés à la mer, emportés par les vagues. Rejetés par la mer, par les vagues de mer. Histoires de corps, de morts et de tempêtes, histoires à mourir, à mourir de peur.
Un court, un long, trois courts. Cinq éclats de phare dans l’explosion des vagues. Masse de pierres noires ruisselantes, masse noire, une tour éclairée, à la tête éclairée, à l’assaut de la nuit. Cinq éclats de phare fracassés de tempête pour protéger la vie.
La vie des hommes qui cherchent. Les hommes qui cherchent le bout du monde et qui se perdent ici. Se perdent au bout du monde. Les vagues et les récifs. Un monde de chaos, un chaos de remous, de remous et d’écume, de mer et de récifs. Un monde dans la nuit, terrible et irréel.
Un voilier démâté ramené par le vent. Vent de tempête. Le voilier fracassé aux récifs. Vagues de mer. Vague de sel. Dans les moindres détails, les détails des détails, tout est salé.
Les enfants sont salés.
Sur la côte battue des enfants grimaçants jettent des hommes, des hommes à la mer.
Masques d’enfant. Des enfants pour rire, pour faire semblant. Ils jettent leurs peurs. Leurs peurs à la mer. Ils jettent leur masque. Le masque de leurs peurs.
Ils mangent des glaces, des glaces salées, au caramel salé, salé au sel de mer. Des enfants à rire, des enfants à apprendre, pour apprendre à rire et à laisser faire, à faire lâcher. A lâcher les chaînes, les chaînes et les boulets. Des enfants pour rire.
Dans les moindres détails, les détails des détails, tout est salé. Mer et sel. Ile oubliée. Ile fiction sans réalité. Sans réalité. La réalité qui enchaine, des chaines et des boulets, qui les soude aux pieds. Réalité boulet aux pieds de liberté, de liberté d’écrire. D’écrire salé, d’écrire déchainé.
Yves


Monologue intérieur

 

Un début d'histoire à prendre ou à laisser.

Une invitation à jouer avec le thème proposé .

Et puis il y a des mots en vrac...

Enfin la cerise sur le gâteau, l'emploi du dialogue intérieur.

 

Les portes

Claque la porte… mais laquelle ? J'ai tiré les rideaux, face à la baie vitrée je regarde… Le ciel crépusculaire grisonne et assombrit les façades qui se dressent non loin. Il n'y a pas un souffle ; les acacias s'étalent, immobiles, et plus bas, les haies de troënes n'ont pas un frémissement. Tout est calme, figé… Ce mutisme m'agace, il est contraire à mon sentiment du moment. Je veux que les branches se tordent et que gémissent les troënes, que le sable fouetté du jeu de boules se soulève en mini-tornades. Oui, je veux claquer une porte. Tu m'écoutes mais je vois bien qu tu ne me comprends pas. J'enrage… La perplexité qui flotte dans tes yeux dément l'air sérieux que tu adoptes. Et tu ris en refermant la porte d'une chambre. La nuit est entrée dans la pièce où je joue le quitte ou double de ma vie. Je regarde la fin du ballet des chauves-souris qui, ponctuelles, raturent le soir. Arrête de clore cette pièce ; j'étouffe... Non tu ne comprends pas. Tu me dis que je suis compliquée, que mes actes sont contradictoires, voire incohérents. Vois-tu, je sais que c'est absurde, je souhaite t'expliquer mais en même temps je crains de te blesser par des mots qui reflètent mon désarroi. Aujourd'hui, je suis un peu lasse ; je n'arrive pas à repousser les battants de toutes ces portes qui, insensiblement, ont réduit mon espace. Un jour, crois-moi, avant que je ne sois engloutie par toutes ces ombres qui pénètrent ici, je claquerai la porte pour la vie, je serai libre, libre comme l'air.
Comme ce sera bon…
Josette

 

Ermite

Mais c’est quoi le bout du monde ? C’est où ?
Peut-être cet endroit que j’aimerais trouver, où j’aimerais rester. Un rêve, une aspiration, un compte à rebours, pour solde de tous mes comptes.
Il se dessine dans le brouillard, en haut de la vallée, tout là-haut. Dans le brouillard d’avant la nuit. En pierres sèches, on le dirait là depuis toujours… enfin presque. Parce qu’au début il n’y était pas, bien sûr. Et maintenant il est là et pas pour rien, pas par hasard. Quelqu’un en avait besoin. Quelqu’un qui venait d’ailleurs ou qui était de là mais qui voulait être ailleurs. Enfin, il l’a construit là, avec ses mains, avec patience, en pierres sèches. Pierres et bois. Il a pris son temps. Sans déranger, sans abîmer. On dirait qu’il a toujours été là. C’était sa place. Sa main est partout. Dans les chevilles de la charpente, dans l’assemblage des pierres sèches, au fond de l’abreuvoir en pierre taillé, sous le rocher. Il est fondu dans le brouillard. Je l’ai trouvé. La cheminée ne fume plus. Depuis longtemps. Abandonné par fin du compte ou par besoin d’aller plus loin. Et plus personne.

Pas un lieu pour disparaitre. Un lieu pour vivre. C’est pour ça qu’il fallait la source et le toit dans la pente et des murs en pierres sèches pour se protéger mais pas des bêtes, pas des gens, pas de la mort, juste pour se sentir protégé, la porte ouverte, jamais fermée. Et le jardin, clos de pierres, pas trop haut, pour le sentir protégé.
Combien ont vécu là ? Se sont succédés ? Seuls au bout du monde ? Une famille ? Des enfants peut-être, à faire grandir. Des enfants à faire pour vivre, à faire pour rire. Des enfants à protéger mais pas de tout. Pour les laisser partir, pour qu’ils puissent partir, quitter les pierres sèches et le toit de lauzes et la source. Partir.

Et moi je veux être dans ce bout du monde. Je vais y vivre seul. Quand plus personne n’aura besoin de moi, quand je serai prêt à vivre de la source et des pierres sèches sans avoir besoin de personne.
Pas pour me cacher, pas pour disparaitre, pas pour mourir, juste pour être au bout du monde et y rester et me trouver et me prouver que je peux continuer sans avoir besoin de m’appuyer. Et me nourrir de rien et du jardin et de rencontres et de passages. Des pas sur le sentier qui surprennent les pierres sèches. Pour une halte, une tombée de brouillard, un moment partagé, une fin de journée ou un début d’étoiles, sans brouillard, un feu allumé, une soupe à préparer, lentement épluchée, une marmite au feu. La soupe partagée, fumante, le cul sur le rocher. Une pomme coupée, partagée. Une nuit aux étoiles et la nuit qui finit.

Mais c’est quoi le bout du monde ?
Le bout, je le vois bien, de mieux en mieux, sans inquiétude.
Mais le monde, je ne sais pas trop. Mon monde. Le bout du monde. Et s’il était là, juste à côté de moi. Et pas si loin de toi. Un bout du monde à inventer. Chacun de son côté. Et pourquoi pas, à partager.
Yves

Ouvre la fenêtre, j'ai tellement chaud.

Mon corps brûle, ma tête va exploser, mon cœur bat à grands coups : calme-toi ma belle.
Ouvre la fenêtre, tu n'entends pas ce que je dis ? Est-ce que je parle seulement dans ma tête ? Ou bien, comme toujours, tu n'entends rien, tu ne comprends rien ?
J'ai besoin d'eau, il fait tellement chaud. Il faut qu'il m'aide à sortir de moi, à voir à nouveau l'infini des étoiles et la lune au-dessus des toits. J'aimais tellement cette heure de la nuit. Mais où es-tu ? Il faut qu'on parle. De lui, de nous. Savoir où on va, quoi !
Bof ! Si on ne le sait pas, c'est aussi bien, non ? Droit dans le mur ou droit dans la chambre, c'est tout droit quand même. Qui me parle ? J'entends des voix : « Réveillez-vous Madame, l'opération s'est bien passée. »
S'il-vous plaît, ouvrez la fenêtre, il fait tellement chaud. Merci.
Fabienne