Printemps des poètes 2016

Ma maison natale, qui ne l'est pas...

Autour de ma maison natale qui ne l'est pas
Il y a l'Afrique
Chaleur, bruit, odeur, poussière par les fenêtres ouvertes

Il y a les vendeuses de cacahuètes
Les lépreux qui mendient le jeudi
Les miliciens en patrouille

Dans ma maison natale qui ne l'est pas
Il y a une grande salle à manger
Un matin de Noël, rempli de jouets, de cadeaux, de paquets.
Visages émerveillés de deux petites filles

Dans ma maison natale qui ne l'est pas
Il y a un séjour et mon père s'y repose
Sur fond de musique classique
Elle ravive aujourd'hui dans mon cœur
La chaleur de son amour.

Dans ma maison natale qui ne l'est pas
Il y a notre chambre à trois lits
Alors que nous ne sommes que deux
Invitation pour nos cousines à dormir chez nous

Des lits clos de moustiquaires
Les insectes ne passent pas
J'y suis Robinson dans son île déserte

La porte vers la salle de bain est un tableau noir
Où dessiner un avenir rêvé

Dans ma maison natale qui ne l'est pas
Il y a au fond, la chambre des parents.
À l'heure de la sieste, en chemise de nuit
Maman qui brode, bavarde avec soeurs ou nièces.

Dormir aujourd'hui dans ses draps donnent l'illusion
De me blottir dans ses bras aimants.

Dans ma maison natale qui ne l'est pas
Il y a un jardin
Au fond, la cuisine où officie Tcheba, le boy.

Dans un coin, un escalier
Monte vers l'infini.
A l'abri du soleil brûlant

Les branches du manguier
Accueillent la cabane où nous jouons à être grandes.
Il y a la niche du chien qui dévore nos desserts sous la table
Le vieux matou qui dépose son butin devant le portail
La chatte qui nous offre ses chatons nouveaux nés

Et ces fauteuils où un jour,
Des hommes magnifiques aux somptueux boubous
S'installent et demandent à mes parents
La main de Bintou, la mousso bambara

J'ai dix ans et ma maison natale qui ne l'est pas,
Tout au bout de la rue
C'est la maison de mon enfance heureuse.
Fabienne

 

 


L'intruse, janvier 2016

J'étais là, à rêver, allongée sur l'herbe fraîchement coupée et qui distillait cette odeur particulière : une fraîcheur acide, un peu enivrante.
J'étais grisée, peut-être était-ce la raison de ce terme qui surgissait, sans explication apparente, dans ma demi-somnolence.
Vocable sacré, sacralisé auquel nous nous attachons et qui nous rattache aux autres.

Je me dis: " Faisons un examen de conscience.  Suis-je marquée par telle ou telle famille ? Laquelle ?"

Ce groupe là est bien structuré autour de la mère. Certains penseront que j'évoque la « mama », ce personnage typique et fort du Sud de l'Italie. En fait, Angelina est l'émanation, la quintessence de toutes les mères du pourtour méditerranéen. Avec sa petite taille, elle les domine tous : mari, enfants, petits-enfants, frères, sœurs, nièces, neveux, parents, alliés et amis. Elle ne semble pas commander mais tous lui obéissent. Les services qu'elle demande, et Dieu qu'ils sont nombreux ! sont perçus comme des aides, quasiment des cadeaux. Etrange situation…
Elle n'a pas son pareil pour organiser les réunions familiales. C'est chez-elle, et pas ailleurs que le ban et l'arrière ban se plongent dans cette « marmite » où bouillonnent l'affection, l'amour, tous les bons sentiments. Elle s'est rendue indispensable : elle gère la vie des siens tambour battant.
Combien de fois s'est-elle mise en quête d'une épouse pour son fils divorcé ? 1, 2, 3 plusieurs fois, je pense, et choisies selon certains critères : bien nanties, travailleuses, dociles... entre autres.
Ces couples artificiels fonctionnaient pendant quelques temps puis s'essoufflaient et disparaissaient.

Jusqu'au jour où le fils est arrivé avec la femme de son choix. Lassé, peut-être, par l'omniprésence de sa mère, mais, et cela semble plus
vrai, ensorcelé par la rayonnante Lisbeth. Les coups de foudre existent. Elle est apparue, un beau jour, si différente physiquement des jeunes femmes présentées par sa mère, des brunes de cheveux et d'yeux, sans signe particulier et, intellectuellement bien au-dessus de ces dernières.
Lisbeth c'est le blé doré des cheveux et l'azur du regard, le sourire permanent de celle qui assure.

Très vite, le fils lui a ouvert sa maison. Le grand piano, elle est une très bonne musicienne, a trouvé le premier, sa place, dans le séjour et les autres meubles n'ont pas tardé à suivre.
La maîtresse de maison, c'est elle, désormais.
Angelina n'a pas résisté très longtemps ; elle avouait sans avoir l'air de rien « Lisbeth c'est une main de fer dans un gant de velours ».
Limogée, répudiée, Angelina peu à peu a cédé du terrain. Elle n'a plus ses entrées libres dans la maison de son fils. Sa bru, car le couple a officiellement convolé, l'invite à l'occasion.
Un bourdon tourne autour de moi, son vol et son vrombissement m'agacent, ma pensée s'effrite...
Josette





Lettre ouverte à mes profs de français...

Président de l'OULIPO ( Ouvroir de Littérature Potentielle) depuis 2004, Paul Fournel définit la contrainte d'écriture :

"La contrainte agit d’abord comme un stimulant de la création : bornant l’imaginaire, elle fait paradoxalement prendre conscience à l’écrivain de l’étendue de sa liberté, d’où son efficacité en matière de production du texte. Le texte jaillit, ici et maintenant, poussé par une nécessité externe qui permet de lutter contre les vents internes qui pourraient se montrer contraires.

La contrainte permet ensuite de remettre en cause les formes de textes, établies par soumission collective (consciente ou inconsciente) ou par habitude du temps. Elle est alors un outil de questionnement de la forme et du sens. Les « lourdes chaînes du sens » passent au second plan et on peut ainsi voir comment la contrainte choisie malmène ce sens et lui donne une chance de se renouveler."

 

On écrit en atelier d'écriture comme on ne nous a pas appris, ni autorisé à le faire, dans nos cursus scolaires. On écrit en liberté. une liberté qu'exerce Yves, avec humour et légèreté, dans sa "Lettre ouverte à mes profs de français".

 

En sortant de l’école...

Non ! pas de l’école...

Marseille, en sortant de l’atelier d’écriture Au clair des mots le 23 janvier 2016

Lettre ouverte à mes profs de français.

62 ans et je me souviens à peine d’aucun de mes profs de français.

Oui, oui, vous avez bien lu. Je vous entends ricaner mes chers profs de français en affutant vos stylos à bille rouges. (d’ailleurs, comment accorde-t-on « rouge » ? « s » ou pas « s » ? Mais bien sûr, « rouges » avec « s », ce n’est pas la bille qui est ... ce sont les stylos. Ou alors « rouge » sans « s », c’est l’encre qui est... pas les stylos. On n’en sortira pas mais vous voyez, j’étais là.)

« Je me souviens à peine d’aucun de mes profs de français ».

Cette phrase « incorrecte » est là parce que cette lettre vous est adressée et que, sous cette forme, la phrase dit exactement ce que je ressens aujourd'hui, avec le brin d’insolence que je sens monter en moi.

Si cette phrase ne m’avait pas plu, si elle avait écorché mon envie de justesse, je l’aurais retirée sur-le-champ.

Mais elle est là, je l’y laisse.

Affutez, affutez, mes chers profs de français, vos stylos rouge (pas de « s », c’est l’encre qui est rouge, pas les stylos ou bien...)

« Ne aucun. On ne peut pas associer aucun dans une phrase affirmative ». Vous voyez, j’étais là.

« Si tu te souviens, à peine, c’est que tu t’en souviens, tu ne peux pas écrire « aucun » si tu t’en souviens».

Rompons là !

Si je me souviens à peine de vous c’est que vous avez dans mon souvenir, à peine un visage, à peine un nom mais aucun d’entre vous ne m’a permis de sentir le bonheur qu’il y avait à écrire, à suer sang et eau sur une phrase qui n’a pas encore trouvé sa juste expression, son rythme, sa musique. Vous ne m’avez pas fait sentir, mes chers professeurs de français, qu’il y a de la jubilation à la lire, à la relire, à la lire à haute voix cette maudite phrase, quand elle s’est enfin accomplie. Accomplie par moi, par vous, par d’autres, peu importe.

Vous voulez un exemple ? Juste un, pour le plaisir. Il n’est pas de moi, j’aurais aimé... Il est de Georges. Vous savez, Georges, celui du Gorille. Censuré. Plusieurs années.

Tout à coup la prison bien close
Où vivait le bel animal
S'ouvre, on n'sait pourquoi. Je suppose
Qu'on avait dû la fermer mal.

Je vous en veux, mes profs de français, d’avoir essayé de me faire honte. Honte d’avoir osé écrire en dehors des clous. Au lieu d’avoir encouragé mon envie d’écrire, de m’avoir poussé à la créativité.

Je vous en veux, mes profs de français, de ne pas avoir nourri la petite flamme.

Je vous en veux, mes profs de français, d’avoir ignoré mes portes dérobées, de ne pas m’avoir fait deviner ce qu’elles cachaient. (J’aurais pu ne pas en vouloir si vous m’aviez assuré que, de toute évidence, vous n’aviez jamais eu vent des vôtres).

Je vous en veux, mes profs de français, de m’avoir fait étudier Prévert et Villon et de ne pas y avoir cru. De les avoir expurgés, de les avoir censurés, de les avoir châtrés.

Je vous en veux mes profs de français de ne pas m’avoir aidé à écrire poésie.

Je vous en veux mes profs de français. Je vous en veux de...

Non, finalement je ne vous en veux plus.

Je ne vous en veux plus, mes chers profs de français, parce que vous êtes arrivés trop tard dans l’histoire pour avoir pu faire l’autodafé dont vous auriez rêvé. L’autodafé des poèmes de Brassens et de tous les livres que j’ai aimés. L’autodafé de mes compagnons de vie. Des poèmes et des livres lourds de sens et de style. Des poèmes et des livres qui n’ont pas été émasculés par vos commentaires convenus, autant qu’imposés, qui n’ont pas été émasculés par la sélection officielle des « meilleures pages de...». Des textes qui ne respectaient pas toujours les règles grammaticales. Ni les autres d’ailleurs.

Non, je ne vous en veux plus, mes chers profs de français, parce que vous n’avez pas réussi à déquiller le petit bonhomme perché sur mon épaule qui me disait à l’oreille « Bah, ne les écoute pas, ça ne vaut pas la peine de te frapper pour ça. ».

Le petit bonhomme n’a pas pris une ride. Le petit bonhomme perché sur mon épaule qui me dit aujourd'hui « Vas y, écris la musique des mots qui soufflent dans ta tête. Si ça ne vient plus, va pisser un coup. Regarde les gabians dans le ciel. Respire et arrête de faire du bruit avec tes casseroles, tu les rangeras plus tard. Arrête je te dis, de taper sur tes couvercles, tu ne peux plus rien entendre en faisant ce bordel. Calme-toi mec et écoute-moi. »

Le petit bonhomme perché sur mon épaule, vous ne l’avez pas eu.

Je ne vous en veux plus, mes profs de français, parce que vous ne m’avez pas empêché de retrouver les copines et les copains de mon atelier d’écriture.

Les copines et les copains qui sont si différents de moi mais qui n’ont pas de stylo rouge.

Les copines et les copains qui n’y croient pas toujours mais qui prennent du plaisir à écrire, à lire, à écouter. Du plaisir à se laisser étonner.

Les copines et les copains qui ont le droit de dire « Là, ça ne marche pas tout seul si tu ne m’expliques pas », le droit de dire ce qui leur plait et qui disent quoi et pourquoi.

Je ne vous en veux plus, mes profs de français, parce que vous ne m’avez pas empêché de retrouver celle qui vous ressemble si peu. Celle qui nous accompagne et qui nous donne, de sa voix chaleureuse, les encouragements qui nous font dépasser nos limites. Celle qui nous fait cadeau de ses impressions à la lecture de nos pauvres textes, juste comme ça. Ses impressions à nous lire, qui résonnent longtemps, pour qu’on aille plus loin.

Je ne vous en veux plus mes chers profs de français. Je ne vous en veux plus parce que ...

Si, je vous en veux

Encore un peu

Mais on s’en fout

C’est pas grave.

[..]

Yves

PS : « Il n’y a pas de problèmes. Il n’y a que des professeurs. » (Jacques Prévert)


Le Printemps des poètes 2015

 


J'attends que le jour se lève.

J'attends que le ciel se dégage.

J'attends que la vie se manifeste.

J'attends que le soleil réchauffe ma maison.

Pourquoi ne viens-tu pas ?

Je t'attends depuis si longtemps.

Ennuyée, ennuyée à attendre.

Je rêve d'action et de tumultes joyeux.

Je rêve du tourbillon des anges qui m'emmènent avec eux.

Je revois la terre, il ne faut pas que je l'oublie.

À quoi ressembles tu? As-tu seulement un visage ?
Je rêve de toi

Tout le temps.

J'écris un long poème, avec des trous dedans.

Je comble les trous

J'essaye.

Je comble les blancs.

Je comble les creux.

Je comble les cris.

Tu es comme un fantôme qui ne reviendra jamais.

Je comble ton souvenir, j'essaye.

Je ne bouge pas, je reste là.

Je regarde devant moi.
Je regarde derrière.

Je regarde devant et derrière, c'est pareil.

Tu n'es pas là.

Tu me manques.
Laurence


Nos chambres... 2014

D'après Espèces d'espaces, de Perec

Le blues de la chambre

Chambre pour dormir - Chambre pour aimer - Chambre pour baiser- Chambre pour endormir – Chambre pour consoler – Chambre pour lire – Chambre pour écrire Chambre pour grignoter – Chambre pour siroter – chambre pour rire

Chambre avec petit lit – Chambre dortoir – Chambre avec grand lit – Chambre avec très grand lit Chambre salon – Chambre maison – Chambre tente – Chambre siège – Chambre banquette Chambre cabine – Chambre tempête – Chambre refuge – Chambre froid-nuit-étoilée

Chambre conjugale - Chambre matrimoniale - Chambre partenariale Chambre avec Pierre, Paul ou Jacques – Chambre qui jouit Chambre sans Pierre, Paul ou Jacques – Chambre qui pleure

Chambre d’hôpital – chambre d’hôpital – encore – encore – encore – Chambre avec tubes – Chambre sans tube – Chambre avec télé – Chambre sans télé Chambre avec visites, fleurs et chocolats – Chambre sans visite ni fleurs ni couronnes

Chambre toute blanche – chambre souffrance et ciel noir Chambre jaune, le mystère – Chambre rouge, l’enfer – Chambre bleue avec mon amoureux Chambre tableaux, Hundertwasser, Miro -

Chambre fringues, ça c’est dingue – Chambre armoire ou armoire chambre – Chambre livres ou livres chambre

Bien sûr, je vous chambre !

Noëlle


Improvisation, rentrée 2014

Des titres de fliers de spectacle de ce festival d'Avignon 2014...

Je suis un enfant de la garde alternée. Ça offre pas mal d’avantages.

Dans mon poste d’observation, on me fichait une paix royale. Condition idéale pour une analyse de la Cie Humaine.

En vérité ma mère se mentait à elle-même. Elle se croyait heureuse avec mon beau-père, un type genre « parfait-et-modeste ». Je l’aimais bien finalement celui-là mais il était beaucoup trop gentil pour elle. Ça a fini par nuire gravement à son salut.

Elle devenait odieuse.

Sous des airs très respectueux, elle était capable de lui sortir : « Ça ne te dérange pas mon chéri si je téléphone pendant que tu me parles ? »

Un jour il a explosé, il lui a mis son poing sur son « İ » et un deuxième en plein dans l’œil.

Fini les bisous-bisous. Un café et l’addition !

On ne l’a plus revu... Dommage.

Quant à mon père... comment dire, il en avait trouvé une qui avait l’âge de ma sœur... et aussi bien balancée.

Je suis vite rentré dans sa bulle. Elle s’est glissé sous ma peau en me jouant le manège du désir.

J’étais très bien dans sa bulle. Merci Papa !

Yves


Lire

 

  Ne me demandez pas de théoriser sur la lecture, c’est mon histoire, de chair et de lait. Le livre c’est mon père et ma mère, et mes grands mères et mes grands pères. C’est le pain, le vin et le couteau. Lire, c’est comme manger, boire, dormir, nager, aimer. Elevée entre un livre et un stylo. Lire, mon refuge, ma consolation, ma référence, mon voyage. Livre nourriture, passage de savoir, livre histoire, livre document, livre rêve, poème, livre paysage, livre tourment, livre rire, livre témoin. Je lis comme j’aime, avec passion, par œuvre entière. Je digère – j’oublie, mais qu’importe, ça palpite dans mes cellules. Je garde les livres, je les touche, les ouvre. Je lis une page et tout revient. Toujours avoir un livre à vue, à portée de main. Rassurée. De Muriakami à Hugo Pratt, de Le Clezio à Molière j’ai toujours faim d’écritures.
Noëlle

Photographie Man Ray